
Le financier Saunier-Langis a été retrouvé mort dans son hôtel particulier. Il collectait des capitaux pour financer les travaux haussmanniens. Il faut trouver rapidement un coupable pour éviter la panique des épargnants. Eugène, un jeune trisomique, fait l’affaire et Florine, la seule personne qui aurait pu l’innocenter, est envoyée à la prison de Saint-Lazare.
Antonin, un gars de la Courtille, un quartier populaire resté à l’écart des transformations qui bouleversent la capitale, entend bien faire éclater la vérité et démasquer les coupables. Il fait appel à Jacques Montignac, un journaliste débutant au cœur très inflammable et à l’imagination débordante. Montignac patauge. À sa décharge, il faut dire que l’affaire est embrouillée. S’agit-il d’une querelle entre concurrents, qui aurait mal tourné, ou de la vengeance d’un mari trompé ? Et que vient faire la sulfureuse Florentine dans cette histoire ? Montignac ne sait plus où donner de la tête. Ni des yeux : toutes ces jolies femmes autour de lui ! Fort heureusement, Antonin garde les pieds sur terre. Il poursuit son enquête de son côté, une enquête dans le monde interlope et beaucoup plus dangereux de la Courtille.
Plongée, dans le monde du Second Empire, un mode dans lequel se croisent banquiers, trafiquants, vétérans des expéditions lointaines, cocottes et femmes du monde…
Florine ne rentrait dans aucune catégorie. Florine était Florine. Il ne serait venu à l’idée de personne de l’appeler autrement. Florine n’était ni mariée ni veuve, elle ne pouvait donc pas être appelée « Madame ». Madame qui, d’ailleurs ? Et comme elle était respectée de tout le monde, il aurait été inconvenant – et très mal vu – de parler d’elle en disant « la Florine ». Elle était donc tout simplement Florine.
Extrait
Ça bardait. Il s’en fallait de peu qu’on en vînt aux mains. Que je vous explique. Les rues de la Courtille sont étroites. Ça, je l’ai déjà dit. Alors, évidemment, quand on voulait passer avec une charrette, même à bras, c’était compliqué. Et quand on voulait se croiser, une charrette et la roulotte d’une marchande de quatre saisons par exemple, il fallait que chacun y mette du sien. En général, on s’arrangeait. Mais il y a toujours de mauvais coucheurs. Vous savez, le genre de personnes qui se mettent n’importe où et qui ne bougerait pas d’un pouce, même pour laisser passer la procession de la Sainte Vierge le 15 août, avec Monsieur le Curé qui marche en tête à grands pas, en s’appuyant sur sa croix en argent comme si c’était une canne, les enfants de chœur qui le suivent, les mains jointes, en psalmodiant des trucs qu’ils ne comprennent pas, et la statue de la Vierge, enrubannée de dentelle, sur un palanquin porté par quatre jeunes gens. Remarquez, la marchande de quatre saisons n’avait pas non plus très bon caractère. Alors le ton était très vite monté. Un attroupement s’était formé. On était plutôt du côté de la marchande. Le propriétaire de la charrette, un maraîcher qui avait une grande gueule, n’avait pas bonne réputation. On disait de lui que c’était un filou. On : les commerçants qu’il livrait avec sa charrette. De belles pommes de terre, charnues, avec de petites mottes de terre qui étaient restées accrochées.
Antonin les dévorait des yeux, ces pommes de terre. De quoi faire un vrai festin pour toute la famille. Ça serait encore mieux avec un peu de lard. Il en restait peut-être un peu. C’est tentant, des pommes de terre fraîchement cueillies. Antonin tâta ses poches. Il savait bien qu’elles étaient vides. Pas facile à remplir ces derniers temps. Et pourtant il s’en donnait, du mal. Levé à l’aube pour être le premier à offrir ses services aux commerçants le matin. Après ça, il allait rôder du côté des chantiers. Pas très costaud, mais pour pousser une brouette on n’a pas besoin d’un hercule. Et un gamin, ça coûtait moins cher qu’un terrassier. Un franc, un franc et cinq sous… Et ces patates, qui ne demandaient qu’à être prises. Antonin, emmène-nous ! Délivre-nous ! On ne veut pas rester avec ce paltoquet ! Antonin regarda autour de lui. Ça braillait, ça gesticulait. Il retira sa blouse et en fit un sac. Puis il s’approcha de la charrette, il remplit son sac de fortune et il s’éclipsa.