
Ancien mouchard au service de l’empereur, Albert Poncalet est retrouvé égorgé dans son appartement. On soupçonne qu’il avait conservé des documents compromettant des personnalités du gouvernement. Paul Thiébaut, enquêteur novice, est chargé par le commissaire d’Entremont de mener les investigations. Doit-il s’intéresser en priorité aux milieux bonapartistes en exil ? À la vie tumultueuse de ce Don Juan sur le retour ? Rechercher le fils disparu de Poncalet ?
Le voilà engagé, à son insu, dans une véritable course contre la montre, car d’autres aimeraient retrouver les papiers de l’ancien espion avant la police, ou mettre la main sur son magot supposé, car l’homme était un habile spéculateur. Tous les moyens sont bons, les plus expéditifs comme les plus insidieux. Comment ce provincial complexé pourrait-il résister aux charmes de femmes habiles à user de leurs charmes ?
Son enquête se transforme en un véritable parcours initiatique, entre éducation sentimentale et découverte des coulisses d’une république encore incertaine. Fort heureusement, Louisette, la bonne à tout faire de la pension Richier dans laquelle il loge, veille sur lui. Son solide bon sens lui sera bien utile pour ne pas perdre la tête. Polar dans la France de 1873, traumatisée par la défaire contre la Prusse et la Commune, et qui hésite encore entre république et restauration monarchique.
La première chose qu’il vit, ce furent les yeux. Des yeux gris, écarquillés et remplis de stupeur qui le fixaient. Puis la bouche, ouverte comme pour avaler une dernière bouffée d’air frais. Et la blessure. La gorge tranchée qui laissait voir l’orifice de la trachée-artère. Le sang coagulé par terre, sur la chemise, sous la nuque. Et ce fut l’enchaînement. Une brusque bouffée de chaleur, les battements du cœur dans les tempes, les jambes qui se dérobent, les sensations qui s’altèrent, l’impression que le monde réel s’éloigne, se dissout… Merde, pas ça. Pas maintenant…
Avis & Chroniques
Bon récit policier avec intrigue tournant autour du pot et coup de théâtre final.
Arrière-plan historique intéressant avec les travaux d’Haussmann et la guerre de l’opium.
J’aime la presse et son histoire, le Petit journal m’a plu ici. J’ai souvent cité, dans mes interventions, Emile de Girardin comme l’inventeur du principe « ce n’est pas le client qui paie [le plus] », préfiguration de l’économie gratuite du numérique, mais je ne connaissais pas Moïse Polydore Millaud.
Dominique L. (Osny)
Extrait
« Et moi je vous dis que vous ne sortirez pas comme ça ! » Du haut de ses vingt-deux ans, Louisette toisait Monsieur Paul. Pour nous, ce sera Paul, tout court. Paul qui tanguait devant elle, avec la sensation que sa tête était remplie d’un liquide qui altérait ses perceptions, bien que ça allât un peu mieux depuis que Louisette lui avait fait boire du lait chaud avec du miel et prendre une potion à base de teinture d’échinacée. Louisette lui barrait l’accès à la porte, menaçant de lui entourer le cou d’une écharpe en grosse laine, un de ces cache-nez aux mailles irrégulières, comme ceux dont sa mère l’affublait lorsqu’il était enfant, parce qu’il était fragile de la gorge, et sur lequel ses camarades tiraient en rigolant, s’amusant parfois à l’entortiller jusqu’à ce que le curé qui faisait la classe – sauf les jours d’enterrement – intervienne.
Mais elle n’était pas sa mère, Louisette, avec ses yeux rieurs, ses taches de rousseur, son petit nez retroussé et son menton arrondi qui adoucissait la pointe de son visage. Elle était plutôt mignonne, d’ailleurs, malgré sa charlotte blanche en lin qui cachait ses cheveux auburn, sa robe stricte à rayures verticales grises et son tablier ; elle devait joliment danser la gavotte, car elle était mince et elle avait la taille bien prise, et de fines chevilles que Paul pouvait admirer lorsqu’elle montait l’escalier devant lui. Mais Paul s’interdisait de penser à la jeune fille, car elle était la bonne à tout faire de la pension Richier, et lui l’adjoint du commissaire d’Entremont, du genre intègre et peu enclin aux amours ancillaires, quoique, parfois, ses pensées s’égarassent le soir avant de s’endormir, et qui pouvait savoir qui venait le visiter en rêve la nuit et causer les taches suspectes sur les draps que Louisette frottait énergiquement avec une brosse de chiendent et du savon noir ? De toute façon, Paul ne savait pas danser.